Mémento mori

par | Déc 12, 2025 | lettres de nouvelles

Fin octobre, alors que les vitrines sont décorées par des crânes et des spectres en plastique made in China, exutoire et mémento mori commercial venu d’ailleurs, la visite de la cathédrale de Saint-Pol-de-Léon, m’a surpris de manière inattendue.

Dans cette immense nef de granit, après avoir admiré les gisants médiévaux des évêques qui entourent le chœur, je découvre dans une chapelle latérale, une étrange armoire grillagée, l’armoire de la nuit, où sont exposées des boîtes, dont je comprends qu’il s’agit de « boîtes à crânes ».

Elles renferment le crâne d’un être aimé, après réduction de sa sépulture, non pas culte morbide, mais ultime hommage des vivants à ceux qui les ont précédés.

Le capitaine de vaisseau et son matelot, la boulangère et l’enfant, l’aristocrate et le paysan, sont maintenant égaux, face au mystère de notre finitude. Mémento Mori.

En ressortant, l’air vif, chargé d’embruns de ce terroir entre ciel et terre, les jardins exotiques luxuriants, témoins des voyages au long cours, et la belle lumière du ciel d’automne, me font ressentir combien le don de la vie est précieux.

Autre ambiance, dans les salons fastueux de l’hôtel Jacquemart André, l’exposition, « l’ombre et la lumière » de Georges de la Tour. Ici aussi, quelques crânes, au pied des personnages, « Memento Mori », sans le maniérisme des cabinets de curiosité.

Mais ce qui frappe avant tout, c’est la flamme omniprésente, elle aussi fragile, -un souffle peut l’éteindre- symbole de notre finitude, mais dont le rayonnement chaleureux irradie et dévoile dans un camaïeu d’ocre, de rouges et de bruns, les visages d’hommes et de femmes. Cette flamme, que le maître du clair-obscur a parfois caché derrière la manche d’un vêtement, une lettre ou la main d’un personnage, révèle les ombres et les lumières des êtres, toute leur humanité avec ses grandeurs et leurs misère, et nous fait entrer dans leurs préoccupations, comme l’apparente futilité du partage de l’argent, leurs désarrois avec le reniement et les larmes de Pierre, ou nous introduisent dans une paix communicative, comme cette nativité, ou Anne et Marie contemplent le nouveau-né dans une adoration silencieuse , tournées vers l’essentiel.

Jacques, RICOT, notre ami philosophe, me rappelait récemment cette phrase de Montaigne : « Tu ne meurs pas de ce que tu es malade, tu meurs de ce que tu es vivant » à l’origine de son intuition que tout soin médical est par nature palliatif.

C’est une invitation pour les soignants à une forme d’humilité, mais également une détermination sans faille pour développer des trésors d’intelligence et d’humanité, afin de prendre soin de cette flamme jusqu’au bout.

Les soins palliatifs sont en cela très novateurs.

C’est cette qualité de présence, cette attention aux personnes et aux petites choses que s’efforce de vivre l’équipe de bénévoles d’accompagnement auprès des soignants, et qui peuvent parfois éclairer l’instant présent et donner à vivre des moments lumineux auprès des personnes dont les jours sont comptés.

C’est aussi pour les bénévoles une école de vie, qui transforme le regard et les relations.

En ce mois de novembre, où nous commémorons nos défunts, mes pensées vont aux centaines de personnes qui ont terminé leur existence dans la maison depuis avril 2022, ainsi qu’à leurs proches.

En fondant cette maison, notre vœu le plus cher, était qu’elles puissent trouver un peu de lumière, de chaleur et de réconfort dans cette ultime étape de leur vie.
C’est le sens de notre engagement quotidien.

Stéphane Gallet
Président

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